Métiers de l’artisanat : derrière les coulisses d’un hype collectif

Depuis quelques années, les métiers de l’artisanat connaissent un réel engouement. Des magazines féminins jusqu’à la presse économique, les témoignages de salariés de grandes entreprises qui se reconvertissent aux métiers de l’artisanat sont omniprésents.

Un tel, spécialiste de la finance qui choisit de faire un CAP en « Arts et techniques de la céramique », une autre, spécialiste du marketing qui décide de devenir ébéniste ou encore ce commercial, qui après un burn-out et un ras-le-bol généralisé, décide de renoncer à un poste grassement rémunéré pour devenir artisan-boucher.

Le propre de ces articles de reconversion professionnelle est de se limiter à une forme de storytelling, qui répète inlassablement la même histoire de succès avec, à la clé, un sens du travail retrouvé, une plus grande satisfaction et un profond épanouissement professionnel. C’est beau et ça fait rêver !

En tant que conseiller en évolution professionnelle, j’ai rencontré des personnes qui se sont lancées et qui ne regrettent en rien leur choix et d’autres, qui ont finalement renoncé au bout de quelques temps, car l’écart entre leur vision du métier et la réalité de celui-ci était trop important.

Dans cet article, je souhaite explorer ce qui se cache réellement derrière cet engouement, au-delà des apparences et des narrations, sans édulcorer les réalités parfois dures de ces métiers d’artisans, que certains articles ont tendance à minimiser.

Le CAP est-il le nouveau Graal de l’accomplissement professionnel ?

Cela fait maintenant plusieurs années que les métiers artisanaux ont le vent en poupe, mais pourquoi donc ? Plusieurs raisons à cela : le travail de bureau ne fait clairement plus rêver.

Des livres, tels que Bullshit jobs de David Graeber ou  L’open space m’a tuer  d’Alexandre des Isnards, ont mis le doigt sur une source de frustration constante : beaucoup de métiers du tertiaire, devenus hyper spécialisés avec des organisations très segmentées, n’arrivent plus à satisfaire la quête de sens des cadres qui y travaillent.

La finalité du travail accompli n’est plus perceptible clairement. Parmi les coupables de cette perte de sens on peut citer l’hyper spécialisation, sorte de taylorisme contemporain, la suroptimisation des entreprises, les réunions à gogo, le manque de clarté sur des objectifs qui changent tous les quatre matins, l’empiétement sur la vie privée, etc.

L’écart croissant entre la logique court-termiste, qui prévaut dans de nombreuses entreprises, et les attentes des salariés explique que ces derniers peuvent être fortement attirés par l’artisanat.

En effet, dans l’artisanat, le travail relève d’un processus intégré : du choix des matières premières en passant par la conception des objets et la valorisation de ceux-ci, jusqu’au contact avec le client final au moment de la vente.

Dans notre culture « à la française », plutôt cérébrale, où les capacités cognitives ont été survalorisées, il n’est pas surprenant d’assister à un  retour du pendule vers des métiers où l’on travaille aussi et surtout avec ses mains et son corps.

Ma nouvelle vie d’artisan sur Instagram

Le discours ambiant dans les médias a cependant tendance à occulter certaines réalités. Si l’on pense qu’être artisan se résume à créer de beaux objets, à les photographier et à les mettre sur Instagram, on se met le doigt dans l’œil ! Cela relève davantage du mythe que de la réalité.

L’artisan est un entrepreneur

Créer de beaux objets est une chose, mais le travail d’un artisan ne se limite bien évidemment pas à cela. L’artisan est un entrepreneur et à ce titre, il se doit de se conformer à des normes d’hygiène et de sécurité, ou encore à des actes administratifs, de maîtriser tant sa communication que la commercialisation de ses produits, notamment au moyen de sa présence à des salons et sur des marchés. Cette gestion quotidienne, qui n’est pas l’activité artisanale à proprement parler, est généralement très chronophage.

En effet, à cela s’ajoute une charge horaire conséquente : la majorité des artisans travaille entre 60 et 80 heures par semaine. Des entrepreneurs qui se contentent de travailler 35 heures, cela n’existe tout simplement pas. Je recommande d’ailleurs à mes clients d’impliquer leur conjoint dans leur projet de reconversion, car il est indéniable que celui-ci aura un impact sur la vie du couple. Il est donc préférable de s’assurer le soutien de votre conjoint pour mener à bien votre projet.

Le côté physique des choses

Être artisan signifie travailler avec ses mains, voire avec son corps, notamment dans le cas des métiers du bâtiment, mais aussi des métiers de bouche. C’est une dimension que l’on peut parfois oublier.

Certains pâtissiers-amateurs, qui prenaient plaisir à faire des pâtisseries pour leurs amis et leurs proches, ont déchantés lorsqu’ils ont dû passer à une production plus industrielle  afin de réaliser un chiffre d’affaires suffisant. L’intense cadence de travail, qui peut commencer dès l’aube, est à prendre en compte.

Il en va de même lorsque l’on veut exercer un métier dit « physique » et que l’on n’a jamais travaillé avec son corps. Cela peut vite s’avérer éreintant et les troubles musculo–squelettiques sont une réalité que beaucoup d’artisans connaissent à force de répéter inlassablement les mêmes gestes.

En conséquence, il faut bien avoir conscience qu’être artisan implique de travailler avec son corps, ce qui requiert une forme d’endurance et de résistance physique absolument indispensable pour pouvoir se lancer dans ce type de métier.

Tous les artisans ne roulent pas sur l’or

Dans leur grande majorité, les métiers de l’artisanat sont faiblement rémunérés et si l’on est à son compte, on porte bien sûr le risque entrepreneurial.

Il convient également de prendre connaissance de quelques ordres de grandeurs. A titre d’exemple et selon l’INSEE, le salaire annuel moyen d’un boulanger-pâtissier en France s’élève à 25 000 euros, celui d’un ébéniste ou d’un fleuriste à 24 000 euros.

De fait, pour de nombreux cadres, une reconversion implique une baisse conséquente de revenus dont il faut avoir conscience. La liberté de choisir son métier a un prix !

Bien sûr, l’objectif de cet article n’est aucunement d’éteindre vos vocations précoces. Il s’agit simplement d’apporter un point de vue plus nuancé sur les métiers de l’artisanat.

De nombreuses reconversions aboutissent et bon nombre de femmes et d’hommes sont satisfaits et épanouis dans les métiers qu’ils exercent désormais. Pour ce faire, il est crucial de réaliser des choix de vie en pleine conscience, c’est-à-dire en toute connaissance des deux faces de la médaille.

Article proposé par Elias Buchwald, Conseiller en évolution professionnelle

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